« Allez vas-y Tins', ce sera sympa tu vas voir, je suis sûre que tu vas t'amuser. Et qui sait peut-être que tu rencontreras le prince charmant. » Tinsley secoua négativement la tête, une de ses amies était en train d'essayer de la convaincre de se rendre à un speed-dating, organisé au Wickenden Pub. Mais la jeune Hunter n'était pas vraiment emballée par cette idée, surtout qu'elle n'était pas vraiment à l'aise avec les hommes, alors devoir parler avec un parfait inconnu pendant quelques minutes ce n'était pas du tout son truc. « Ah non, je te jure que ça me branche pas du tout. Tu sais que ce genre de trucs c'est pas pour moi. Et puis laisse tomber ton histoire de prince charmant, je n'y crois plus depuis longtemps. » Mais comme son amie la connaissait très bien, elle lui sortit un argument de choc. « Pff, c'est bien ce que je pensais, t'as peur en fait... J'avais parié que tu n'irais pas... » Alors là, il ne fallait rien de plus pour convaincre la rouquine. Bien qu'elle était toujours très prudente et sérieuse, Tinsley était toujours la première pour relever des défis. Elle fronça alors les sourcils, croisant les bras sur sa poitrine d'un air boudeur en grognant. « Roh, c'est bon, t'as gagné, je vais y aller à ton truc. Mais tu vas voir, je suis sûre que ça va pas du tout me plaire et je te le ferai payer un jour ou l'autre. »

Alors elle dut supporter son amie tout l'après-midi. Cette dernière l'entraîna dans les boutiques pour qu'elle s'achète une tenue un peu plus féminine que ce qu'elle avait l'habitude de porter. Tinsley préférait porter des vêtements confortables, alors quand son amie lui proposa une petite robe noire trop moulante et trop courte à son goût, elle secoua la tête en arborant une moue dégoûtée. Mais trop gentille comme toujours, et surtout parce qu'elle avait envie de rentrer chez elle, elle accepta de l'essayer. « Oh elle te va super bien ! On prend celle-là et je te prêterai des chaussures qui iront parfaitement avec ! » Tinsley n'eut pas le temps de protester que son amie l'avait déjà poussée dans la cabine pour qu'elle enlève la robe et une fois ceci fait, elle la prit et l'emmena à la caisse pour la payer. Après ça, Tinsley dut se laisser pomponner par son amie. Elle avait un peu peur du résultat, parce que le maquillage et tout, ce n'est pas non plus son truc. Mais une fois que son amie eut terminé sa petite affaire, Tinsley fut surprise de se voir dans le miroir, ses longs cheveux roux tombaient sur ses épaules, ses yeux étaient à peine maquillés ainsi que ses lèvres, son amie avait respecté son envie de ne pas être peinturlurée comme la plupart des filles.

L'heure du speed-dating était arrivée. Tinsley se rendit donc au Wickenden Pub qui avait été aménagé spécialement pour l'évènement. Une rangée de tables se trouvait sur un côté de la salle. La jeune Hunter était très mal à l'aise et ça se voyait puisqu'elle ne cessait de jouer nerveusement avec ses cheveux. C'était la première fois qu'elle se rendait à un speed-dating et elle ne savait pas du tout comment ça se passait. Timidement, elle s'avança vers un grand gaillard, sûrement un videur ou quelqu'un du genre et de sa petite voix, elle lui demanda ce qu'elle était censée faire. Il lui expliqua alors qu'elle devait, comme toutes les autres femmes, s'asseoir à une table, d'un côté de la rangée et attendre qu'un homme vienne la rejoindre. Et alors, ils auraient cinq minutes pour discuter et apprendre à se connaître. Tinsley roula des yeux, déjà ennuyée par tout ça, mais elle obéit sans rien dire. Une fois assise à sa table, elle lança des petits regards de côté vers les autres jeunes femmes, et là, elle ne se sentait vraiment pas à sa place. Elle s'enfonça dans son siège quand le premier homme s'installa en face d'elle. Ce fut certainement les cinq plus longues minutes de toute sa vie. Après qu'il lui eut pris la tête en lui parlant de choses plus ennuyantes les unes que les autres, l'homme lui avait laissé son numéro de téléphone et s'était installé à la table d'à côté. Tinsley soupira, enfin elle s'était débarrassée de cet emmerdeur. Elle n'avait plus qu'à espérer que le prochain ne soit pas pire. Si elle savait ce qui l'attendait...

Il y a des jours comme ça...

Peter Hollens ft. Eppic - Lights

Des fois ça passe, d’autre pas. La discussion qu’Esteban avait entretenue avec une des deuxièmes années en Littérature aurait pu mener à quelque chose de plus intéressant que les simples paroles. Son petit air angélique, son aspect négligé et ses mots bien placés semblaient avoir eu raison de cette « aventure » que la demoiselle partageait avec un footballeur de Brown. Il était certain d’y avoir mis un terme, pensant observer dans les prunelles de sa proie l’envie ardente de passer plus de temps en sa compagnie. Raté. Un échec qui de toute évidence, était le signe que jamais il ne pourrait terminer chez les Alphas. Pas qu’il en est envie, c’était juste un constat.

« Qu’est-ce qu’on fait ce soir ? » C’était la question qui trotta dans la tête de l’étudiant pendant toute l’après-midi. Pas de plan. Rien. Pas même un coup bas à donner aux autres confréries de l’université. La stratégie mise en place en fin de matinée avait volé en éclat avec l’arrivée du footballeur en question. Il n’avait pas fallu plus de quelques secondes pour que la jolie littéraire ne reprenne ses esprits, quittant le regard mielleux d’Edgar et embrasser son petit-ami. Un copain qui lança des éclairs en direction de l’intrus. « J’sais pas Shaw. On peut s’faire une soirée Halo pt-être… » Affalé dans son lit, le colocataire avait les yeux rivés sur l’écran de télévision, boulettes de fromage entre les mains en se gavant comme un porc. « Ouais nan. Sans façon. » Esteban jeta son sac sur le sol et sauta dans son lit. Il resta un moment à réfléchir, le regard en l’air à compter les trous fait avec un stylo. Rester inerte n’étant pas son genre, il se redressa moins d’une minute plus tard en jetant un œil à la télévision. Rien d’intéressant hormis une énième téléréalité. Il détourna son visage, désappointé par tant de manque de motivation. Le hasard fit bouger les choses. Dans sa chute, son sac à dos s’était ouvert, renversant des bouquins sur le parquet, ainsi que quelques centimètres d’un flyer jaune.

« Speed Dating. » Il se massa le menton, la feuille sous les yeux. Ne se rappelant pas comment il avait pu obtenir cette information, Esteban tenta d’y réfléchir avant d’être sorti de ses pensées par son colocataire. « Speed-Dating quoi ? » D’un revers de l’index, il fit pivoter la feuille en direction de l’autre étudiant. « Speed Dating. Voilà ce que je vais faire. » « C’est ringard mon pote. Et je croyais que t’avais pas envie de te caser ? » « Qui te parle de me caser… » Avec un large sourire, Esteban se dirigea vers le placard et en retira un jean et un teeshirt propre. Une douche rapide, un poil d’eau de Cologne. Il était paré.

C’est finalement seul qu’il s’est retrouvé en compagnie des autres hommes présents dans l’anti-salle. De l’autre côté des portes, on pouvait entendre les discussions féminines avec un autre coordinateur qui leur expliquait, tout comme aux hommes, le déroulement de la soirée. S’installer au numéro confié – Esteban débutait table 2, cinq minutes de discussion, puis passez à la table suivante. Rien de plus simple. Il espérait juste que les demoiselles de l’autre côté ne soit pas trop âgé. Mais dans une ville aussi grande que Providence, il y avait toujours de jolies demoiselles à ce genre de soirée. L’étudiant ne s’en faisait pas, certain de ne pas finir sa soirée seule et de récupérer plusieurs contacts.

Les cinq premières minutes se déroulèrent avec un côté magique. Vingt-cinq ans, jeune secrétaire dans un cabinet d’avocat recherchant le grand amour, Zarha se révéla très ouverte à la discussion tenue par Esteban Derrenshaw. Sa franchise n’était pas une barrière, il ne cachait rien. Etudiant avec de grandes ambitions politiques, un passé amoureux tragique, des difficultés à se remettre dans le bain… La carte était bonne à jouer et fut appréciée. Premier numéro de téléphone dans le répertoire.

Premier claquement de mains, changement. Esteban s’est levé et avec quelques pas, s’est installé à la seconde table. Son sourire s’est immédiatement installé aux coins des lèvres, sincère et légèrement amusé. « Bonsoir. » Smile, encore. Tinsley. La seule mais non l’unique demoiselle à avoir repoussé les avances de Shaw. Inutile de préciser que la tête du jeune homme bourdonnait de question. Fallait-il pour autant la harceler directement ? Evidemment pas. Le but du jeu, c’était bien un speed-dating et non un interrogatoire poussé. Nouveau claquement de mains. Cinq minutes, top chrono. « Je m’appelle Esteban, suis étudiant mais je ne pense pas avoir besoin de préciser… » Il se mordit la lèvre inférieure avant de reprendre d’une manière qui laissait entièrement de côté le fait que la belle rousse dans sa robe sombre le connaissait déjà. « Je sais qu’ordinairement, les hommes passent cinq minutes à déblatérer non-stop… Mais je préfèrerai un vrai échange, de toi à moi, tu vois ? Alors, hum… Je ne sais pas… Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? » Posant les avant-bras sur la table, Edgar joint ses mains afin de prendre une meilleure assise, espérant captiver cette fois-ci, l’attention de Tinsley.

Le premier 'entretien' terminé, Tinsley se mit à tapoter nerveusement la table, si elle voulait remporter ce défi, elle devait tenir un moment, et surtout... elle devait revenir avec le numéro de plusieurs jeunes hommes ; bon, elle en avait déjà récolté un, mais honnêtement, elle avait plus envie de le balancer que de le garder. Les pensées allaient à cent à l'heure dans la tête de la rouquine, se disant que cette histoire de défi et de speed-dating était ridicule, peu importe le défi, elle s'apprêtait à se lever et rentrer chez elle, quand un nouveau jeune homme s'installa en face d'elle. Tinsley posa alors ses mains sagement sur ses genoux, non sans pousser un petit soupir d'ennui. Intérieurement, elle se fit la promesse de partir dès ce deuxième 'rendez-vous' terminé. Quand elle leva la tête vers le jeune homme, les yeux verts de Hunter s'agrandir légèrement. C'est que ce petit brunet, elle le connaissait. Derrenshaw. Tinsley s'enfonça dans son siège, comme pour essayer de mettre le plus de distance possible entre elle et le jeune Kappa. Si les cinq minutes précédentes avaient été pénibles, celles qui allaient venir seraient certainement pires...

La jeune femme rapprocha alors sa chaise de la table, elle ne voulait pas que le jeune Derrenshaw pense qu'il l'intimidait d'une quelconque façon, non, elle était bien trop fière pour ça. Elle l'écouta alors se présenter, bien que ce n'était pas vraiment nécessaire puisqu'elle le connaissait déjà un peu. La petite rouquine esquissa un petit sourire amusé alors qu'elle s'accoudait à la table en plongeant son regard dans celui d'Esteban. « Toi ici ? A vrai dire ça ne m'étonne qu'à moitié. Qu'est-ce qu'un grand charmeur comme toi fait dans un speed-dating ? Je pensais que tu n'avais pas besoin de ça... » A peine lui eut elle adressé la parole que ce fut pour lui lancer une pique, mais bon, ça c'était du Tinsley tout crachée. Elle soupira une nouvelle fois avant de hausser les épaules, après tout, qu'est-ce que ça lui coûterait de jouer le jeu avec le jeune Derrenshaw ? Elle lui tendit alors la main tout comme elle l'avait fait avec le précédent homme. « Enchantée Esteban, moi c'est Tinsley. » Elle arqua un sourcil en entendant ses paroles, puis à nouveau la tentation de le taquiner fut trop grande. « Mais pourquoi est-ce que je devrais t'accorder plus de temps qu'aux autres ? En temps normal, cinq minutes c'est largement assez pour toi pour baratiner une fille et pour réussir à décrocher son numéro, je me trompe ? »

Même si elle prenait plaisir à le taquiner et à se moquer un peu de lui, l'idée de lui accorder plus de temps qu'aux autres, ne lui déplaisait pas tant que ça. Elle voyait là l'occasion d'en apprendre un peu plus sur le grand Derrenshaw, celui qui faisait tomber presque toutes les filles. Elle se passa une main dans les cheveux avant de lui répondre, tâchant d'être le plus aimable possible ; une chose qu'elle avait apprise chez les Lambdas, toujours sourire, toujours être polie qu'importe à qui on a affaire. « Et bien je suis étudiante à Brown comme tu le sais déjà, et j'étudie la Biologie génétique depuis cinq ans. Je pense qu'il n'est pas nécessaire que je t'explique en quoi consistent mes études, déjà parce que je pense que ça ne t'intéresse pas du tout, et puis, je ne suis même pas sûre que tu comprennes. » Ah bah quoi ? On peut être polie tout en taquinant son interlocuteur non ? Tinsley savait bien que Esteban n'était pas plus bête qu'un autre, mais elle aimait bien le titiller un peu, parce que contrairement à la plupart des filles, la jeune Hunter n'est pas du genre à regarder les hommes tels qu'Esteban comme s'ils étaient de grands héros. Elle lui adressa enfin son plus beau sourire, afin de le provoquer encore un peu plus. « Et toi Derrenshaw, qu'est-ce que tu fais dans la vie à part te servir de pauvres idiotes pour assouvir tes pulsions ? »

Il y a des jours comme ça...

Ce type d’entretien était complètement paradoxal. D’un côté, il ne fallait pas être anxieux de se retrouver face une personne inconnue, nouvelle. L’individu situé sous les yeux devait être un potentiel futur – contact, ami, petit-ami, voire même amant. Cela avait de quoi déstabiliser les plus timides qui devaient redoubler d’effort pour s’ouvrir. Les mots devaient couler comme le court d’une rivière, fluide et sans accroche pour montrer un signe de confiance en soi. D’un autre côté, il fallait éviter le piège du laisser-aller. Trop de confiance en soi mènerait automatiquement à l’étiquette « boulet ». A éviter donc. L’idéal serait, selon les pensées d’Esteban, un mélange de rigueur et de décontraction. Rester lui-même en quelque sorte.

On pouvait dire sans se tromper que l’exercice était plus difficile pour les hommes que pour les femmes. Cela serait surement une question de point de vue, mais commencer une discussion avec une ravissante jeune femme n’était pas chose aisée. Si Shaw’ avait très bien engagé le premier pas dans son match de cinq minutes avec Tinsley, ce n’était pas la même chose pour la table d’où il venait. Le nouveau venu, visiblement subjugué par la demoiselle qu’il avait en face, n’arrivait pas à aligner le moindre mot. Sans prêter garde, l’étudiant ne pouvait s’empêcher d’écouter d’une oreille et d’observer en biais les réactions de Zahra, de la table précédente. Après tout, ce n’était pas ses affaires, son but actuel étant de réussir là où il avait échoué : acquérir les bonnes grâces de la Lambda. Et cela s’avérait difficile vu les aprioris qu’elle tenait déjà et qu’elle lui lançait déjà en pleine figure. « Attends une minute… Qu’est-ce qui te fais croire que je suis ce genre d’homme ? » Il agita la main d’un signe négatif, tentant d’insinuer ne pas être ce genre d’homme. Peine perdue, peut-être. Ou pas. « Sous prétexte que j’essaie d’aller vers toi, tu me considères comme un de ces Alphas… » A son tour, Esteban arqua un sourcil en guise de désapprobation. Il évitait ainsi de répondre à ces questions qui de toute évidence lui était adressée afin de le mettre mal à l’aise. Ou alors devant le fait accompli.

« Excuse-moi. Elle s’appelle Zahra et elle aime les films de superhéros. Demande-lui son préféré. » Avec un désengagement momentanée de la discussion avec Tinsley, le jeune homme s’était penché sur la gauche afin de s’insinuer dans la mauvaise relation des deux individus. Un clin d’œil à l’homme timide, un sourire à la demoiselle, il espérait que la situation s’arrangerait. Sinon, ce serait cinq minutes de perdues pour eux.

Reprenant place face à la belle rousse aux yeux verts, Edgar s’enfonça sur le dossier de sa chaise et se mordit une nouvelle fois la lèvre inférieure. Il observait sa partenaire qui, instinctivement, laissa ses fins doigts traverser sa belle chevelure. Elle entra finalement dans son jeu, avec une suite qui convenait à Esteban. Enfin il apprenait de manière légale – sans fouiner, des informations au sujet de cette fille intouchable. Avant de la voir une nouvelle fois se frayer sur un chemin de provocation. Aux yeux de l’étudiant, Tinsley ne semblait vraiment pas enclin à instaurer des bases correctes à leur néo-relation. Pas de chance pour elle, c’était bien ce qu’il avait en tête. « Il ne t’est jamais venu en tête que peut-être, tu me plaisais ? Par conséquent, trainer autour de toi serait ma manière de dire ‘Youhou, je suis là !’ » Le regard interrogateur disparut pour faire place à un aspect plus drôle. Esteban leva les mains en l’air et fit des signes de mains face à la demoiselle. Attirant son attention – ainsi que celle de quelques demoiselles supplémentaires qui souriaient d’amusement, le Kappa n’était pas entièrement sincère. Bien sûr qu’elle l’intéressait. Mais cet intérêt pouvait se définir en de nombreuse manière…

Revenant sur un point plus simple, l’étudiant en politique soupira légèrement avant de reprendre le court de la discussion. Il allait continuer la discussion presqu’agréable d’une réelle nouvelle rencontre. Son sourire s’esquissa en répondant avec entrain. « Je suis quelqu’un qui a une grande tendance pour l’amusement. Disons que j’ai pas mal souffert il y a quelques années et qu’aujourd’hui, j’ai envie de vivre. Et rien de tel qu’une décharge d’adrénaline pour te faire vibrer… Tu aimes les sports intenses ? » Les mains à nouveau jointes, il pointa ses index en direction de la rousse en espérant captiver, même trouver, un point commun qui permettrait de se revoir en d’autre circonstance.

Est-ce que Tinsley avait une mauvaise image d'Esteban ? Bien sûr. Pour la jeune Hunter, Derrenshaw était le genre d'homme qu'elle ne pourrait jamais apprécier, vantard, sûr de lui, il s'amusait à jouer avec les femmes et les balançait ensuite comme un gosse balancerait ses jouets cassés. Le pire c'est qu'il ne le cachait pas et Tinsley avait du mal à comprendre comment autant de filles pouvaient tomber dans le panneau. Certes, il avait une belle gueule et était beau parleur, mais bon, comment pouvait-on être aussi naïf ? Et le voilà maintenant qui se trouvait face à elle, la jeune Hunter était persuadée que la femme de la table voisine s'était laissée prendre par les charmes du beau brun et rien qu'à cette pensée elle leva les yeux au ciel en soupirant. Puis, il semblerait également que cette femme n'ait pas laissé le Derrenshaw indifférent puisqu'il ne cessait de jeter des coups d’œil vers elle et l'homme qui avait pris sa place ; chose qui avait le don d'exaspérer la jeune rouquine.

Si au départ, Tinsley comptait se montrer désagréable avec son interlocuteur pour s'en débarrasser au plus vite, elle abandonna rapidement cette idée ; de toute manière, Esteban semblait être le genre d'homme qui ne lâche jamais prise et qui serait même plus tenté de continuer ce petit jeu pour tester les limites de sa proie. Tinsley le laissa alors parler sans l'interrompre, ne pouvant tout de même s'empêcher de grimacer tandis qu'Esteban tentait de lui faire croire qu'elle se faisait une mauvaise opinion de lui. Enfin elle s'apprêtait à lui faire une nouvelle remarque cinglante quand le jeune homme se pencha vers la table voisine pour s'adresser à l'inconnu qui semblait encore plus mal à l'aise que ne l'était Tinsley. Cette dernière se renfrogna, elle s'adossa à sa chaise et croisa les bras sur sa poitrine en arborant une moue boudeuse. Elle attendit alors que Derrenshaw revint à sa place pour lâcher froidement : « Tu sais Esteban, rien ne te retient ici. Si la femme de la table voisine t'intéresse tant, tu ferais bien de ne pas gaspiller ces cinq minutes avec moi pour aller les passer avec elle... » Jalouse ? Pas vraiment non, enfin d'un certain point de vue, on pourrait dire que oui elle était jalouse de cette charmante femme qui semblait captiver l'attention du jeune Kappa ; mais c'était plus une question de fierté et d'amour propre. C'est que ces cinq minutes, Esteban devrait les passer à essayer d'en apprendre un peu plus sur elle et non aller faire les yeux doux à cette femme.

La mauvaise humeur avait ainsi gagné la jeune Hunter, et là, elle était bien décidée à se montrer désagréable tout le reste du rendez-vous avec Esteban. Mais si elle pensait être capable de l'ignorer durant les quelques minutes qu'il leur restait, Tinsley se trompait, et en beauté même. Parce que en voyant le jeune homme agiter les bras comme s'il essayait d'attirer son attention cela était tout bonnement impossible. Et cette petite mise en scène eut l'effet escompté, puisqu'un fin sourire se dessina sur les lèvres de la petit rouquine. Derrenshaw venait de remporter la première manche, oui. Intriguée par ce qu'il venait de dire, la jeune femme fronça les sourcils en l'interrogeant du regard. « Te plaire ? Non, je dois avouer que cette idée ne m'avait jamais traversé l'esprit. Enfin, je sais bien que tout ce qui a une poitrine te plait, mais je pensais que tu savais que je ne suis pas le genre de fille qui se laisse avoir avec des belles paroles. A moins que ce ne soit ça qui t'intéresse justement, la chasse. Mais tu dois savoir une chose, je ne compte pas être la proie... D'ailleurs, je porte bien mon nom... » Petite blague pas vraiment amusante, mais bon, c'était un peu la vérité, Tinsley n'était pas du genre à se laisser chasser, mais elle n'était pas non plus du genre à chasser.

Comme elle venait de répondre à la question qu'Esteban venait de lui poser, elle obtint en retour quelques informations. Et un détail n'échappa pas à la jeune rouquine. La curiosité l'emporta alors et Tinsley fronça légèrement les sourcils alors qu'elle se demandait ce qui avait bien pu faire souffrir le grand Derrenshaw ; un chagrin d'amour peut-être, cela expliquerait bien pourquoi il se jouait tant des filles, mais elle se garda bien de faire le moindre commentaire. Elle haussa légèrement les épaules après qu'il lui eut posé une nouvelle question. « Et bien, disons que j'ai une peur terrible du vide, donc déjà on peut rayer bon nombre de sports extrêmes, mais en revanche, je me sens très à l'aise dans l'eau, donc j'avoue que l'idée de faire du rafting un jour m'est très plaisante. Et tu pratiques quels sports toi ? » Alors qu'elle terminait de poser cette question, Tinsley lança un petit regard vers la table voisine, se disant que la jeune femme qui y était assise n'avait rien à voir avec elle, c'est qu'elle était très élégante et d'une incroyable beauté, alors qu'elle, et bah elle était juste elle, une petite étudiante aux traits banaux qui ne faisait pas grand chose pour être plus attrayante, et là, elle comprit pour quoi cette femme attirait tant l'attention d'Esteban, en revanche, elle ne comprenait toujours pas pour quoi, elle, Tinsley Hunter, fille banale intriguait un homme tel que lui... Elle cligna plusieurs fois des paupières, comme pour se sortir de ses pensées et bien décidée à profiter de ce moment pour en apprendre davantage sur ce Dom Juan, elle demanda : « Tu as dit que tu avais souffert. Je peux te demander qu'est-ce qui t'a fait tant souffrir ? » Elle n'était pas certaine d'obtenir une réponse sincère, ou même une réponse tout court, mais qui ne tente rien n'a rien, et puis le principe du speed-dating c'est bien d'en apprendre le plus possible sur son partenaire durant le temps imparti, non ?

Il y a des jours comme ça...

Esteban avait osé. Il s’était détourné de Tinsley, celle qu’il courtisait depuis quelques semaines déjà, pour la femme d’à côté qu’il venait à peine de rencontrer. Oser, c’était bien le mot. Qui d’autre aurait agi de la sort ? Faire momentanément abstraction d’une jolie fille pour une autre et ce, juste sous le nez de l’intéressée, c’était beaucoup. Il était téméraire. Peut-être un peu trop même. Sauf qu’il se doutait d’une chose : si jamais l’étudiante le prenait mal, cela se révèlerait génial. Cela voudrait dire que ça l’atteignait et en poussant la réflexion plus loin, qu’elle n’était pas indifférente à la présence de Shaw. Aussi avait-il jugé bon de laisser une piste qui pourrait intéresser la demoiselle. Quelques traces de son passé. Pas énormément, juste le minimum. Même rien du tout qui pouvait lui permettre de deviner sa vie.

La rouquine était expressive à souhait. Peu importe qu’Esteban tente de mettre de la bonne volonté dans ses propos, elle semblait loin d’être réceptive à entendre la pseudo-vérité qu’il essayait de montrer. Elle grimaçait. Bien sûr, Edgar avait beau répliquer d’une manière à se défendre, il avait la particularité de ne jamais prendre précisément son cas. Si bien que ses propos étaient vagues, ne dévoilant rien. Des « peut-être que… », rien de plus. Généralement, ça suffisait pour détourner la conversation. Néanmoins, il n’en avait plus besoin. Le simple fait de la mettre de côté avait suffi à faire oublier la course d’endurance d’Esteban pour la faire craquer. Un détail quoi.

Sa réponse sèche lui avait fait baisser les yeux. Oui, il avait fauté. Exprès, certes, mais fauté quand même. Il fallait qu’elle garde cette image en tête d’un jeune homme qui pouvait à tout moment s’esquiver. Il lui montrait ainsi qu’elle n’était pas seule sur terre. Aussi, Edgar E. soupira avec douceur avant de reprendre sa vigueur habituelle. Il ne pouvait pas faire autrement, puisqu’il n’était pas de nature à se laisser abattre par la moindre réplique. Et puis, le fait que Tinsley agréée une conversation plus simple et banale était tout ce qu’il désirait. « Le rafting, c’est dangereux même pour ceux qui aiment patauger dans l’eau Tinsley. Mais je n’en ai jamais fait. Peut-être qu’on pourra se faire ça un de ces quatre. » Avant de lui laisser le temps, il quitta ses yeux émeraudes pour observer la prochaine table. « Enfin, si tu arrives à me supporter jusque-là, pas vrai ? Ça serait génial. » Pourquoi jeter un œil à la prochaine table ? Pour continuer à la pousser à bout. Peut-être aussi pour attiser son intérêt. De toute manière, ils avaient encore le temps, une trentaine de seconde s’était écoulée, à peine.

Du coin de l’œil, Esteban l’aperçu détourner à son tour le regard. Pas dans la même direction. Ce qui l’intriguait ? L’étudiant n’en avait aucune idée. Tout ce dont il était certain, c’est qu’il ne pouvait pas rester ailleurs que sur son visage plus de quelques secondes. Après tout, il était là pour elle. La tactique du jeune homme sans attache ne rimait à rien si c’était pour passer ses cinq minutes la tête dans les nuages. « Pardon ? » Il ne s’attendait pas à cette question. Interloqué, surpris même de cette audacieuse question, il haussa les sourcils. Esteban était contrarié. Il chercha ses mots pendant quelques secondes, pendant lesquelles sa langue passa furtivement sur ses lèvres. « C’est pas le but de la soirée. L’objectif c’est de trouver des centres d’intérêts communs. » Sèchement, Shaw espérait couper court à la question. Puis il enchaina directement. « Tinsley. Hum. Tes études de biologie, c’est dans quelle optique ? » Moins émotif que les secondes précédentes, la gaieté et l’entrain d’Esteban semblait s’être estomper. Bravo mademoiselle Hunter, vous venez de rendre hermétique le petit ange.

Tinsley s'en voulait de s'être emportée ainsi, elle se doutait bien que le jeune Derrenshaw allait prendre cette réaction pour un signe, il allait penser qu'il ne la laissait pas indifférente, c'était certain. Mais était-ce vraiment le cas ? Même Tinsley n'était pas sûre de la réponse. Oh elle n'était pas amoureuse de lui ou quelque chose du genre, la demoiselle n'était pas du genre à éprouver des sentiments pour une personne aussi facilement, disons qu'elle était immunisée contre ça ; mais était-elle attirée par le jeune étudiant ? Ça c'était la vraie question, et la belle Hunter fronça les sourcils alors qu'elle essayait de trouver une réponse, elle regarda attentivement le jeune homme, perdue dans ses pensées, elle essayait de décrypter ses ressentis quand elle le regardait. Premièrement physiquement, bon, oui, il était très attirant, elle ne pouvait pas le nier, elle appréciait sa simplicité, il ne faisait usage d'aucun artifice, il était naturellement charmant. Mais passons enfin au mental, c'est là que ça coinçait, Sa prétention et son petit air sûr de lui l'agaçaient vraiment, mais d'un autre côté, sa persévérance l'amusait et l'attirait aussi, et puis sans compter que là, elle se rendait compte qu'il n'était pas si méchant que ça...

La jeune Hunter décida alors de lui laisser une chance, après tout, ils avaient encore quelques minutes devant eux pour apprendre à se connaître, et qui sait, peut-être que la petite rouquine serait surprise de ce qu'elle pourrait apprendre. La demoiselle eut un petit haussement d'épaules en entendant la remarque d'Esteban. Bien qu'elle soit toujours très prudente, dans toutes les situations, Tinsley n'était pas trouillarde, elle n'avait pas vraiment froid aux yeux, tant qu'elle prenait ses précautions. Elle s'apprêtait à lui répondre quand il détourna à nouveau son attention d'elle et elle se rembrunit derechef, mais cette fois, elle ne fit aucune remarque, bien que ce n'était pas l'envie qui manquait. Un peu étonnée par la proposition plus ou moins cachée qu'il venait de lui faire, Tinsley arqua un sourcil, ainsi il y aurait éventuellement une autre fois... Elle esquissa alors un petit sourire en coin, le premier de la soirée tiens, c'est qu'il était plutôt doué le Derrenshaw... « Certes, mais le danger ça peut être excitant, non ? Je ne suis peut-être pas une très grande fan des sports extrêmes, parce que j'ai tendance à vouloir toujours tout contrôler pour qu'il n'y ait aucun risque mais une bonne poussée d'adrénaline de temps en temps ça ne peut pas faire de mal. » Enfin ils trouvaient un terrain d'entente ! Comme quoi tout est possible. En revanche elle ne lui donnait aucune réponse au sujet d'un possible prochain rendez-vous, décidant de laisser planer un peu de mystère, histoire d'attiser encore plus l'intérêt du jeune homme.

Mais la jeune femme ne put s'empêcher de se montrer curieuse, les paroles d'Esteban l'avaient quelque peu intriguée, et elle était très curieuse de savoir ce qui avait pu le faire souffrir dans son passé. En voyant sa réaction, elle s'aperçut qu'elle avait touché un point sensible, elle s'en voulut un peu de s'être montrée si indiscrète, elle-même détestait que les gens essayent de lui tirer les vers du nez sur son passé, alors elle pouvait comprendre la réaction d'Esteban. C'est pourquoi, elle n'insista pas, enfin du moins pour le moment, parce que cette réaction ne faisait qu'attiser davantage la curiosité de la rouquine qui souhaitait vraiment en apprendre un peu plus sur le beau brun. Mais comme il venait de le lui dire, ils n'avaient que cinq minutes, alors autant parler de choses gaies et surtout de leurs centres d'intérêt pour voir s'ils y avait possibilité qu'un éventuel prochain rendez-vous ait lieu. Elle se contenta alors de hocher la tête, esquissant une petite moue qui montrait qu'elle s'en voulait un peu et qu'elle était désolée.

Voulant apaiser les tensions entre eux -sacré retournement de situation- Tinsley poussa un petit soupir alors qu'elle réfléchissait à sa réponse. Elle appuya ses coudes sur la table, posant son menton sur ses poings. Plongeant son regard dans celui de son interlocuteur, elle tenta de faire une réponse la plus courte possible, c'est qu'elle avait tendance à partir dans des monologues sans fin quand elle engageait la conversation sur ses études. « Pour faire bref, j'aimerai devenir chercheur, en fait, mon but se serait de bosser pour un labo qui met en place des traitements pour diverses maladies ou handicaps. Pour être plus précise, j'aimerais travailler particulièrement sur la régénération des tissus et des cellules humains. » Les yeux verts de la jeune femme pétillaient à l'idée de pouvoir un jour réaliser son rêve et il n'y avait qu'à la regarder pour voir qu'elle était passionnée par ce qu'elle faisait. Elle soupira d'un air rêveur avant de reporter son attention sur le jeune Derrenshaw. « Et toi Esteban, tu ne m'as pas dit ce que tu étudiais ? Quelles sont tes ambitions ? »

Il y a des jours comme ça...

Il y a des jours comme ça où les stratégies ne glissent pas tel le court d’un long fleuve. Ce qui était généralement une partie de plaisir pour Esteban venait de prendre une tournure nettement différence de ce qui se passait généralement. Ordinairement, sa sournoiserie gagnait tous les combats, menant sa proie sur une piste bien précise, anticipant ses répliques et poussant même à se dévoiler. Et cette soirée réduisait ses statistiques au plus haut point. Qui sait ce qui adviendrait si l’étudiant commençait à perdre le fil des opérations ? Lui-même ne connaissait pas sa réaction. L’eau de son fleuve rencontre des rochers. Pas bon du tout.

Reprendre les devants et récupérer la maîtrise de ses cinq minutes, c’est ce qu’il devait faire actuellement. Il remit la discussion sur le tapis. Discussion qu’il trouvait insipide, sans aucun goût soit dite en passant. D’autre sujet pourrait être abordé, plus intéressant, plus intime même. Mais ça risquerait une nouvelle fois d’attirer l’attention sur sa propre personne. Pas bon, again. Même l’avenir de Tinsley était chiant à ses yeux. Bosser dans un laboratoire pour aider les autres. « Quel altruisme. Je n’imaginai pas que le bien des personnes te tenait tant à cœur. Enfin, le bien de tous, sauf du mien… » Tant qu’à faire, allons-y gaiement. Tinsley savait que l’étudiant qui se trouvait en face avait un faible pour elle. Double avantage à cette remarque : sans doute prendra-t-elle conscience de l’attirance d’Esteban, et du fait également qu’il savait l’écouter, apprécier ses choix.

Après un léger moment de silence, Esteban lui adressa un léger sourire dévoilant des fossettes délicieuses. « Actuellement, je n’ai pas d’ambition. Je verrais bien ou les études en politique me mèneront. » C’était faux. Un grand mensonge même. Mais avouez que s’il avait dit ‘Je veux être président des United States of America’, Tinsley se serait moquer de lui de manière exponentielle et toute l’assemblée aurait été mise au courant. Esteban n’avait pas besoin de ça. D’autant plus que si jamais ça tournait mal avec la Lambda, il y avait encore plus d’une dizaine de femme capable d’être attiré par la jeunesse de l’étudiant. Et puis, c’était soit son ambition personnelle sur l’avenir, soit l’ambition du moment : finir par décrocher les bonnes grâces de la jolie rouquine aux yeux de rêve. Autrement dit, ni l’une ni l’autre des réponses n’avaient sa place.

Il y a des jours ça passe, d’autre ou ça casse. Actuellement, c’était plutôt au centre de cela. Le visage de Tinsley s’était fait désolé. Bon point. Installée sur la table, menton sur les mains, la posture de la jeune femme laissait présager qu’elle prenait les devants. Shaw en fit de même. Il s’avança sur la table, les avant-bras posés sur celle-ci. Sourire aux lèvres, il avait répondu sans rien offrir à la belle rousse, encore rancunier de s’être vu pris en traître par une question personnelle. Son cerveau machiavélique s’était d’ailleurs mis en marche vu le sourire mesquin qui s’étira. « Alors comme ça, tu aimes bien tout contrôler… C’est un point qui en intéresserait plus d’un ça, mademoiselle Hunter. Je n’imaginai pas les Lamba comme ça. » Penchant la tête de côté, il allait apprécier le moment où Tinsley comprendrait la double connotation de cette réplique. Il y a des jours comme ça, ou Esteban a envie de jouer.

Au fil de la conversation, Tinsley était de plus en plus étonnée, c'est qu'elle avait toujours vu Esteban comme un salaud de première, mais en fait le jeune homme s'avérait être de bonne compagnie. Enfin, Tinsley se méfiait toujours de lui, c'est qu'elle savait à quel point certaines personnes pouvaient être très manipulatrices et elle ne serait guère étonnée que le jeune Derrenshaw en fasse partie. Ils s'étaient rapprochés l'un de l'autre, la jeune rouquine fixait un instant les mains d'Esteban qui n'étaient plus qu'à quelques centimètres de ses coudes posés sur la table. Elle releva les yeux vers lui en haussant légèrement les épaules suite à la remarque qu'il venait de faire sur son futur choix de carrière, mais c'est surtout la fin de sa phrase qui l'étonna un peu. « Serais-tu en train de jouer les Caliméro là ? Qu'est-ce qui te fait dire que je me fiche de ton bien à toi ? D'ailleurs, j'ignorais que j'avais une quelconque influence sur ton bien. » La jolie rousse ne put s'empêcher de sourire en prononçant ces paroles, c'est que d'un côté ça lui faisait un peu plaisir, parce que oui, jusqu'à maintenant, elle ignorait l'effet qu'elle produisait sur Derrenshaw. Mais encore une fois, était-ce sincère ou n'était-ce qu'un jeu ?

Le fait qu'Esteban refusait de lui parler de lui, même quand elle lui reposa la même question que lui, à savoir, son but dans la vie, lui mettait la puce à l'oreille.En effet, la jeune Hunter avait toujours été de nature très curieuse et quand elle voyait qu'on lui cachait quelque chose, cette curiosité ne faisait qu'être décuplée. Que pouvait bien cacher Esteban ? Tinsley se fit intérieurement la promesse de le découvrir un jour ou l'autre, mais il fallait qu'elle se montre subtile et maligne, et ce n'était certainement pas en le harcelant de questions qu'elle obtiendrait quelque chose. Elle joua donc la carte de l'indifférence, néanmoins elle venait d'apprendre qu'il faisait des études en Politique, certes, ça n'allait pas lui apprendre grand chose, mais c'était déjà un début. Pour changer, elle décida de se montrer un peu taquine, et c'est en esquissant un petit sourire en coin qu'elle demanda : « Tu es du genre à vivre au jour le jour, tu ne penses pas à l'avenir, ou alors la seule question que tu te poses c'est avec quelle fille tu vas finir la nuit ? » Le problème c'est qu'à continuer de lui lancer des piques de ce genre, Esteban allait se demander si elle n'avait pas un petit faible pour lui. Était-ce le cas ? Peut-être bien...

En effet, Tinsley avait bien compris le double sens des paroles de Derrenshaw, mais au lieu de s'emporter, ou de jouer les jeunes vierges effarouchées, elle s'avança un peu plus, se penchant par dessus la table, ses cheveux roux venant frôler les mains du jeune homme qui étaient sagement posées sur la table. D'un petit air charmeur, elle pencha la tête de côté en souriant. « Et bien quoi Esteban, tu ne fais pas partie de ce genre d'hommes ? Tu préfères peut-être avoir le contrôle sur tout... » Elle se passa lentement la langue sur les lèvres avant de se reculer légèrement et haussa les épaules. « C'est quoi ces aprioris sur les Lambdas ? Sous prétexte que contrairement aux Iotas nous ne passons pas nos soirées à faire la fête et à coucher avec le premier venu, nous sommes des saintes-nitouches ? Tu te trompes lourdement sur nous Esteban, si tu savais les choses qui se disent entre nos murs... » Le but de toute cette petite comédie ? Attiser la curiosité de Derrenshaw. Mais, Tinsley ne mentait pas, beaucoup de gens pensaient que les Lambdas étaient des femmes frigides qui ne savaient pas profiter de la vie, c'était faux, juste qu'elles ne le criaient pas sur tous les toits.

Il y a des jours comme ça...

Il ne pouvait pas effacer l’éducation reçu en Angleterre. Il ne pouvait pas nier avoir été l’un des garçons de Londres les plus distingués en valeureux de sa classe. Toujours à se mettre entre les forts et les faibles, toujours à tendre la main aux autres. Le respect, la tolérance et les bonnes manières étaient toujours présentes dans le passé. Les bonjour, les s’il vous plait, les merci. La sincérité d’Esteban était bien évidemment à l’épreuve chaque jour, mais jusqu’à ses dix-sept printemps, c’était l’archétype du gendre idéal.

Que reste-t-il aujourd’hui de cet Esteban radieux et plein d’espoir ? C’est une bonne question. Il semble toujours avoir cette gentillesse d’apparat, possède et use des subtilités d’un gentilhomme et parvient même à faire preuve de sincérité. Sauf qu’il ne s’agit plus que d’une façade. Le but n’est plus de plaire. Le but est de réussir. De tout réussir dans le but d’éviter les souvenirs. Et pour ça, il faut soit en créer de nouveaux, soit de l’action pure. Shaw avait vite fait le choix. Il mêle les deux dès que c’est possible.

L’étudiant a vite compris que pour jouer avec Tinsley, il ne suffisait pas d’être un gros dur. Pas plus qu’il fallait jouer les pleureuses. Alors Esté a choisi de jouer les deux à la fois. Suffisamment sensible pour que les paroles de la rouquine perce sa pseudo-carapace mais pas suffisamment pour perdre contenance. Quoi de mieux alors que de détourner la conversation à son avantage ? Ça aurait pour effet d’attirer la Lambda. « Oublie ça d’accord, Tinsley ? Ce n’est pas le but de ce speed-dating… » Il a détourné les yeux. Pas vers sa gauche, ni vers la droite. Mais vers ses propres mains. Baisser le regard. Voilà qui signifiait bien des choses pour une demoiselle. Nul doute que ça la toucherait d’une manière ou d’une autre.

C’était quoi le but d’ailleurs ? Vu le sourire de Tinsley, ça ne semblait pas être désagréable de se retrouver face à Derrenshaw. L’objectif, c’était d’en savoir plus sur l’autre. Plus pour la belle étudiante que pour son acolyte. Si elle lui posait un tas de questions de manière à le piéger – ce qu’il pensait, lui n’était là que pour redorer son image. Plus les aprioris qu’elle possède de lui s’effaceront, plus le chemin sera dégagé pour porter un coup d’estoc. Néanmoins, la question qu’elle répliqua le fit rehausser son regard, étonné. « Pourquoi tu me poses cette question ? Ça t’intéresse de savoir si je collectionne les filles ? Et bien détrompe-toi. Je suis sociable avec tout le monde, rien de plus. » Il y avait du vrai. Il y avait du faux. Ça ne le dérange pas de finir avec une fille différente un jour sur deux, mais il y a quand même des nuits ou il préfère rester seul. Ou être avec ses Bro pour mettre la misère dans les autres confréries. S’amuser en somme.

A peine une minute trente s’était écoulé pour que Tinsley réussisse à captiver enfin toute son attention. Non seulement parce qu’elle s’était rapprochée de lui en s’appuyant sur la table, mais également parce que ses paroles étaient d’un intérêt très… particulier. Esteban aurait pu cacher son ressenti, puisque c’est un as en la matière. Alors pourquoi esquisse-t-il ce sourire étrange, sonnant tellement faux qu’il en est stressant. « Tu serais en train de dire que tu t’éclates souvent avec des mecs ? ‘Lourdement’, ça signifierait que tu es une experte… Je ne te crois pas. » Il a balayé d’un revers de la main ces idées qu’elle tentait de lui mettre en tête. « Tant que je n’aurai aucune preuve, je ne te croirai pas. » Rajoutant une couche, il hocha la tête négativement avant de reprendre. « Mais je suis curieux de savoir ce qui se dit entre vos murs… Même de ce qui s’y fait... » Sourire carnassier sur les lèvres, Esteban était incroyable. Il passait d’une expression à une autre en l’espace de quelques secondes. Le pire, c’est qu’il était tellement dans son rôle que l’on penserait qu’il s’agit uniquement de sa personnalité. Déroutant.